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samedi 24 avril 2021

L’Art Roman

L’art roman à travers ses sculptures dans la pierre des chapiteaux, des modillons, des gargouilles, dans le bois des miséricordes et des stalles, sur les murs avec les fresques, dans la lumière des vitraux, l'Art Roman est un imagier. Il enseigne les principes religieux de l’église Chrétienne. Souvent ce sont des illustrations des scènes des Écritures. Parce que les gens ne savaient ni lire ni écrire, il fallait produire des images, des symboles déchiffrables. L’avantage des images tient au fait qu’elles atteignent l’âme sans passer par le filtre de la réflexion. 


On retrouve cette idée d’imagier au début du XXème siècle dans les aventures du Professeur Nimbus publiées dans un journal quotidien. En ce début du XXème siècle, une bonne partie de la population ne savait lire d’autres choses que les images. Déchiffrer les images c’est un peu comme faire une psychanalyse : comme les rêves, les images, tout en étant singulières, sont codées. Pour les lire, il faut les interpréter avec le vocabulaire de l’époque. 

L'arche de Noé, St Savin

Tous les sujets de l’Art Roman sont tirés de la Religion et de la Spiritualité qui en découle ; rien n’est anodin ou hasardeux. Un arc et une flèche qui visent un cerf ne font pas une scène de chasse, un homme représenté à l’envers n’est pas un acrobate : le sens doit être historicisé. Pour l'arc et la flèche du Centaure, il s’agit d’un but à atteindre, le cerf avec ses ramures tournées vers le ciel représente l’être en contact avec dieu, ce qu’il faut devenir. Pour l'acrobate, l’homme à l’envers est un homme qui procède à un retournement spirituel sur lui-même. Il s’agit, de façon lisible, d’élever la spiritualité et de parer aux écueils qui la guettent. 

 Centaure se débarrassant de sa partie animale, Champeaux collégiale

Une colombe représente l’esprit saint. La pomme croquée entraîne la chute d’Adam et Eve dans la chair, dans le matérialisme. Des animaux dotés d’un visage humain sont des êtres encore imparfaits, à moitié animaux. Il s’agit de sortir l’homme nu de l’animalité. L’homme nu porte la tunique de peau d’Adam et Eve après la chute. La tunique de peau est matérialisée chez l’homme par une barbe fournie. Les anges sont imberbes. Les ailes symboliseront toujours un accroissement de la spiritualité, une sortie de l’animalité. L’homme libéré de la matérialité voit des ailes lui pousser. C’est un progrès, une liberté acquise. Il faut à tout prix éviter une perte de contrôle de soi qui nous replongerait dans l’animalité, c'est-à-dire dans la matérialité.

L’Aventure Spirituelle 

L’aventure spirituelle est en trois étapes qui s’entremêlent dans les images sculptées. Après avoir ficelé le vieil homme en soi, il faut accomplir une démarche. Ensuite il faut opérer un retournement. Enfin il s’agit de s’engendrer soi-même. Toute une aventure semée d’embûches, de difficultés, d’obstacles et d’allers-retours.

D’abord, il s’agit d’entraver le vieil homme qui réside en soi : il représente le matérialisme de la chute d’Adam et Eve après avoir mangé la pomme. Il est souvent représenté attaché au mur d’une l’église, tenu en laisse ou parfois rendu sensible sous la forme d’un cheval sauvage qui veut tout, tout de suite et dont le sexe (celui du cheval !) mis en évidence, traduit l’idée d’instinct débridé.

 On marche avec les pieds, Autun

Ensuite, l’image, nous dirons l’image plutôt que la sculpture, représente souvent une démarche intérieure visant à être meilleur. La démarche est très simplement évoquée par des jambes et des pieds en mouvement, plus ou moins libres, plus ou moins entravés.

Le retournement, Oyré

Un homme se tient les chevilles, il tire, il procède à un retournement vers la spiritualité. Un retournement est une transformation complète. De même lorsqu’un homme est représenté la tête en bas et les pieds en l’air, ce n’est pas une acrobatie mais un retournement. Un autre homme se mange les pieds, selon l’expression consacrée, c’est qu’il s’empêche d’évoluer. Un dernier s’emmêle les pinceaux ne nécessite aucune explication ! Un autre se retire une épine du pied, c’est qu’il avance dans sa démarche spirituelle. Se tenir les genoux, c’est contrôler sa démarche spirituelle. Le bâton facilite la démarche spirituelle. Une jambe de bois représente une démarche imparfaite. Deux personnages, un homme et une femme souvent, les jambes entrecroisées, représentent une démarche commune.

Les feuillages ne sont pas simplement une ornementation. Ils représentent le renouvellement, comme au printemps. La fleur représentera la lumière d’un aboutissement. Chaque image, chaque détail a un sens. Souvent, dans un modillon, dans un chapiteau, un homme soutient la charpente, c’est qu’il soutient l’église Chrétienne.

 S'engendrer soi-même, Poitiers

Mais bientôt il va falloir s’engendrer soi-même. La représentation, une tête émerge de sous l’abdomen entre les deux jambes, l’engendrement est une renaissance. Une main caresse un bébé : il ne s’agit pas de dorloter un nourrisson mais d’indiquer le geste de protection de son nouveau moi. De l’Homme Nouveau émerge un nouveau corps sorti de la hanche, ou d’une côte, quelquefois de la cuisse de Jupiter !

 La main sur le coeur, Tarnac

La main est le pouvoir de faire. La main sur le cœur précise qu’il faut passer par l’amour et la bonté pour parvenir à s’engendrer soi-même. Les trois doigts repliés du Christ représentent la Sainte trinité et les deux doigts levés, les deux natures du Christ : l’humaine et la divine.

La langue tirée indique à la fois la difficulté de la démarche mais le plus souvent : la parole. La parole, toujours représentée par des formes longilignes qui sortent de la bouche, rend compte des idées qui la sous-tendent. Car comment représenter autrement une idée ? 

 L'unité retrouvée, Fenioux

La lutte contre les grands animaux, le lion, le tigre, traduit la difficulté d’être un homme. L’apaisement des tensions est représenté par un couple, c’est l’apaisement de l’unité retrouvée de deux corps soudés. Les tensions contradictoires sont vaincues. Les musiciens représentent l’harmonie retrouvée par la libération spirituelle.

Tout cela constitue l’Aventure Spirituelle : démarche, retournement, engendrement. Mais, attention ! Le diable se cache dans les détails. Et les monstres guettent. 

Avec plaisir, Solignac

Les Monstres

Ce sont les images le plus amusantes et en apparence les plus simples à lire. Les passions sont destructrices et représentent les principaux obstacles à l’aventure spirituelle, pires que le combat contre les lions et les tigres !

En riant de toutes leurs dents, l’œil pétillant, les Monstres à deux corps et une tête, encerclent, mordent, avalent, engloutissent l’homme aux moments fragiles de sa démarche, du retournement, de l’engendrement de soi. L’homme doit refuser de nourrir ses passions. Les passions alourdissent. Les monstres représentés avec deux corps sont plus pesants et moins alertes. La spiritualité rend plus léger. Les ailes poussent vers le ciel.

La parole est toujours porteuse d’idées. Parfois sortent par bouche des petits monstres dont la tête file aux oreilles de l’homme : il n’écoute rien d’autre que ses propres passions, il est sourd à ce qui l’entoure, il n’a aucune démarche libératrice. Ses obsessions le dominent. Ses idées tournent en boucle, se nourrissent d’elles-mêmes. Les monstres, comme les passions, dévorent. L’homme devient monstrueux, la boucle engendre un nouveau monstre, la boucle est bouclée. 

 Un monstre à deux corps, Champagne

Les monstres forment souvent des associations de malfaiteurs. Ils mangent l’oiseau, symbole spirituel de la légèreté. Hypocrites, ils trompent en faisant semblant de soutenir la voûte de l’église comme s’ils étaient de bons chrétiens. Leur langue en deux parties est un double langage : la duplicité engendre les mensonges. Parfois, certains monstres ont six langues, ou bien leurs langues font des nœuds, des tresses : c’est dire que la parole et les idées qu’elle sous-tend peuvent être dévoyées ! 

 Le serpent, Fernioux

Le serpent est un mauvais conseiller, il a donné de mauvaises indications à Eve. L’oiseau mord le serpent pour libérer symboliquement l’homme.  Lorsqu’on dit l’homme, il faut bien entendu comprendre l’être humain, la femme et l’homme. L’homme, souvent fasciné par sa fonction sociale et par son travail, oublie la quête de la spiritualité.

Rois des animaux, les lions à deux corps symbolisent l’orgueil. Une tête humaine avec deux corps d’oiseau représente la volonté de puissance d’un homme aveuglé qui s’illusionne sur son degré de spiritualité. Si les oiseaux ont des serres de rapaces, l’homme en question n’est qu’un rapace qui veut tout s’approprier !

Finalement la lecture est assez simple, encore faut-il bien regarder les détails de chaque image. Deux êtres bizarres méritent chacun un paragraphe, le Centaure et la Sirène.  

 Miséricorde, Champeau

Le Centaure

Au féminin Centauresse, mythique animal-humain, corps de cheval avec un buste et un visage d’homme représente la matérialité encore présente et la spiritualité qui va se développer au détriment de la partie animale. Ou bien qui va échouer à advenir. C’est la fragile partie chrysalide de l’aventure spirituelle.

La corde d’église qu’on voit sur certains chapiteaux est au sens propre la Religion. Les feuillages représentent le renouvellement permanent ; la corde d’église porte des fruits.

Le cavalier est celui qui domine son animalité. Deux paires d’oreilles, sont l’écoute intérieure, l’écoute extérieure. Une paire de cornes, tournée vers le ciel, c’est le contact avec dieu. Comme le bonnet pointu, sorte d’antenne vers dieu. Comme le cerf avec sa ramure. Un centaure qui se retourne est celui qui opère un retournement. S’il bande entre ses mains un arc tendu, c’est qu’il bande ses forces en priant et en méditant pour accéder au spirituel. La Centauresse se reconnaît avec sa natte dans le dos. L’homme avec sa barbe, sa peau d’homme, représente la condition humaine après la chute d’Adam et Eve. L’arc et la flèche ne représentent pas une scène de chasse mais un but à atteindre.

Le cerf visé dont les bois (antennes vers dieu) se renouvellent chaque année symbolise le renouveau du retournement. Le cerf, comme Jésus est aussi victime de la cruauté des hommes.

La sirène, Aulnay

La Sirène

La Sirène est positive, c’est l’invitation au voyage intérieur. Elle souffle dans une conque pour ne pas qu’on n’oublie qu’elle reste un guide pour le voyage intérieur. Elle porte les seins nus. Mais pas toujours. Parfois un habit de moniale  lui couvre la tête et les seins ! Le sein nu, traduit une forme extérieure symbolique de l’allaitement. Le sein nourrit le voyage intérieur. L’allaitement est comme une nourriture spirituelle. Souvent la Sirène tient un voile au dessus de sa tête par respect pour l’église Chrétienne. Retenir ses cheveux est aussi un geste de contrôle de soi-même. Ce geste retient la séduction trop facile. Le Drac est le pendant masculin de la Sirène. Parfois la Sirène se fait manger par un monstre, d’autres fois, elle attaque les monstres, tout dépend de l’évolution du voyage intérieur. Le poisson-conseil lui inspire ce qu’il convient de faire. La sirène entraîne dans un voyage souterrain, sous-marin,  celui qui en accepte l’enjeu.  Encore faut-il être prêt pour cette Aventure Spirituelle. La Sirène explore les profondeurs, la profondeur humaine, c’est par excellence la démarche intérieure. Sur sa queue est parfois posé un oiseau, c’est l’Oiseau-Conseil qui lui murmure à l’oreille les énergies d’en haut. La plus part du temps, ce sont des poissons-conseil. Ces poissons tirent au clair ce qui vient des profondeurs.

La sirène est notre guide. Elle opère une psychologie des profondeurs. Les abysses marins sont notre inconscient.  Le mot inconscient ne se disait pas à cette époque, Xème au XIIème siècle. L’inconscient est peuplé de poissons. 

Oyré

Parfois, la sirène a deux queues qu’elle tient bien serrées dans ses mains. C’est la preuve qu’elle guide et contrôle la Démarche Intérieure. Toutes ces démarches, tous ses retournements, toutes ses naissances, avec les métamorphoses du Centaure et à l’aide de la Sirène, visent à atteindre l’harmonie et l’Unité. 

 L'unité retrouvée, Chauvigny

L’unité

Des sculptures représentent une femme et un homme, nus, le sexe ou l’habit ou la coiffure déterminant l’un de l’autre. D’autres montrent un homme et une femme se tenant ou se serrant la main, s’enlaçant, s’embrassant dans un baiser : ce sont des symboles de l’unité spirituelle à acquérir. La pierre tenue à la main évoque la concentration et la permanence de l’Esprit. L’œil unique, c’est l’unité retrouvée, il correspond à la superposition des deux yeux, l’un tourné vers l’intérieur, l’autre vers l’extérieur. 

 L'âne musicien, Aulnay

La musique et la lumière

C’est le chant de l’âme. La musique accompagne chaque étape réussie de la démarche vers plus de spiritualité. C’est l’harmonie intérieure. Selon le degré d’avancement de la démarche, et selon les deux versants de l’existence, animal et spirituel, la musique est jouée par des hommes mais aussi par des bêtes, souvent par des ânes, serviteurs des hommes et symboliquement obligeant l’homme à devenir un serviteur de l’église Chrétienne. Le coq dirigé vers l’est, est l’animal du lever de soleil, il symbolise la lumière. Les rosaces, les fleurs sont des  fleurs-soleil, des lumières. 

 Puisseaux

A plus tard !

Bibliographie

Anne et Robert Blanc, Monstres, Sirènes et Centaures, symboles de l’Art Roman , Édition du Rocher, 2006.

 

2 commentaires:

  1. C'est ce que l'on appelait autrefois une Somme ! J'ai appris plein de choses !

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  2. Un jour une femme m'a ouvert une église et m'a commenté ce qu'on y voyait. Puis à la fin de la visite, elle m'a dit : je vais vous montrer quelque chose que personne ne voit. C'était le dessin ocre sur blanc d'un bonnet d'âne posé sur une tête tout en haut d'un mur qui montait au clocher. J'ai pensé : les bonnets d'âne sont du temps de Jules Ferry ?
    Je savais que l'art roman était un imagier. J'ai cherché à connaître la signification du bonnet. En fait, c'est un bonnet pointu avec deux cornes. Et les cornes comme des antennes mettent en contact avec dieu...

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