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jeudi 23 janvier 2020

Souvenirs, souvenirs, Je vous retrouve dans mon cœur, Et vous faites refleurir, Tous mes rêves de bonheur !

Je n'ai pas écrit cet article mais je me souviens de la Casa Miguel ! Je me souviens du vieil homme dans l'arrière cuisine, son "homme" ? Miguel ?! Malade, râlant, balancé sur un rocking chair, la télé à fond parce qu'il était sourd, tandis que Mme trottinait pour servir les clients. Fallait voir les clients ! Jusqu'à ce que des vedettes de la télé décident de fréquenter le restau !
Le restaurant le moins cher du monde -dixit le Livre Guinness des records- se trouve à Paris. Pour le prix du supplément de moutarde du Fouquet' s les presque sans-le-sou peuvent s'offrir un repas complet à la Casa Miguel.
Lundi 16 décembre, les Restaurants du Coeur reprendront du service. Durant tout l'hiver ils dispenseront aux indigents un repas frugal provenant des surplus de la communauté européenne, des dons d'entreprises ou de ceux de particuliers. L'opération caritative imaginée par Coluche peut laisser penser que la faim qui tenaille les plus démunis n'a cours qu'une fois la période hivernale venue. En fait, le besoin de manger vous tourmente les douze mois de l'année. Vérité toute crue à laquelle répond la Casa Miguel sise au 48 de la rue Saint-Georges tout près de l'église Notre-Dame-de-Lorette dans le IXe arrondissement de Paris. Dans ce tout petit restaurant, pour un franc de moins que ce que vous a coûté le journal que vous lisez actuellement, il vous sera proposé un repas complet qu'accompagnera un quart de vin rouge. En complément vous profiterez de l'amabilité d'une des plus vieilles grands-mères encore en activité.
25 janvier 1949, Jour de fête. Madame Miguel rayonne. Dix ans après avoir fui l'Espagne franquiste, elle ouvre son restaurant. De nombreux compagnons d'exil l'entourent. L'inauguration se prolonge tard dans la nuit. Les bouteilles s'amoncellent, les chants résonnent. Quarante deux ans passent. Madame Miguel a quatre-vingt quatre ans. Sa fille lui a demandé d'arrêter. Mais Maria Miguel veut continuer à servir ses vingt quatre couverts quotidiens. La retraite, antichambre de la mort, ne lui conviendrait pas. En hiver, elle n'ouvre plus le soir. C'est la seule concession qu'elle ait jamais faite à la pression familiale.
Chaque jour, dès que le client s'installe, la "patronne" s'approche de sa table en claudiquant un peu, en titubant beaucoup. Elle le scrute un quart de seconde et lui annonce, d'une voix chevrotante le plat du jour -il n 'y a pas de carte : riz ou aubergines vinaigrette, plat de résistance (nouilles avec boulettes de viande, choucroute, cassoulet), fromage et dessert. Le client choisit. Madame Miguel regagne sa cuisine, le laissant s'imprégner, tout à loisir, du décor. Une unité de ton caractérise l'unique pièce d'environ 40 m2. Tout respire le suranné, le vieillot et vous procure des bouffées de nostalgie. Le linoléum fleuri qui recouvre les tables, le carrelage faïence abîmé, les banquettes de moleskine et le lampadaire central type Pagode. La seule trace de modernisme s'actualise par la présence de spots blanchâtres aux quatre coins de la pièce. Sur les tables, les verres rivalisent de calcaire, les assiettes et les couverts témoignent d'une autre époque. Sur chacune d'elles trône la grosse boîte bleue où la silhouette détourée du garnement Cérébos saupoudre de gros sel son malheureux poussin.
Le papier peint jauni supporte des petites pancartes où s'inscrit la profession de foi de la maison. On y lit qu'il est aberrant de mourir de faim aujourd'hui, que "l 'homme est un champ ouvert à toute culture". Sur le mur de droite, un planisphère frappé d'un PARTIR majuscule rappelle que l'endroit est fréquenté par les routards. Ceux-ci laissent fréquemment quelques mots de remerciement. Les griffonneurs accrochent leur petits papiers sur un panneau ad hoc au fond la salle. Les propos sont simples, chaleureux. A l'image de la maîtresse des lieux. D'ailleurs, la revoilà, elle apporte au client son entrée. Il est difficile de croire que ce corps voûté, bosselé et malingre ait encore la force d'effectuer autant d'allers et retours. Pourtant entre midi et treize heures, tous les jours -"même le dimanche"- Madame Miguel et ses à-peine-plus-de-quarante-kilos s'activent. Ses doigts perclus de rhumatismes préparent les conserves qui rassérèneront son parterre d' habitués. Ridée à l'extrême la "patronne" est vraiment trop gentille pour que le temps ait osé lui adresser toutes ses injures. Sa face craquelée sourit avec plus de pétillant et de volupté que toutes les serveuses de la restauration rapide réunies.
Madame Maria a reçu de nombreuses offres. Depuis quarante ans le prix du mètre carré a centuplé. Mais elle ne veut pas vendre. En l'an 2000, son restaurant reviendra à l'unique fils de son unique fille. C'est écrit noir sur blanc chez le notaire. En attendant elle continuera à ouvrir la "Maison de Michel" et à congédier aimablement ses clients au bout d'une heure vraiment trop courte. Pour se consoler ils reliront la dizaine d'articles (français, américains, allemands, hollandais) qui décorent la vitrine et méditeront sur la pancarte qui dit que "les idéaux sont comme les étoiles : nous n'y parvenons jamais mais ils nous guident dans notre course".
Un dernier conseil aux automobilistes : le jour où vous irez déjeuner chez la vieille dame, acquittez vous scrupuleusement de votre taxe horodatrice. L'amende s'élève à 75 F. Soit quinze fois le prix d'un repas à la Casa Miguel !

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