Le bois du piano, jamais mort, même coupé
spécialement dans le Val di Fiemme en novembre à la lune descendante pour
faciliter l'écoulement de la sève, même séché pendant
dix ans, dont on évite les nœuds, Ies veines saillantes, tout élément renfermant la tentation du
bourgeonnement, le souvenir d'un printemps, et
qui pourtant gonfle ou se rétracte, sensible à
la température et à l'humidité.
Elle a entendu, tout à l'heure, à la manufacture du boulevard Ornano à Saint-Denis
l'énumération des bois d'un piano et elle a souri les doigts pleins de sève:
l'épicéa pour la table d'harmonie, le chêne, solide, pour la charpente, le
sapin rouge de Russie, gras et compact pour les arcs-boutants, le tilleul pour
le clavier qui se découpe facilement et travaille peu, le poirier pour les
échappements parce qu'il est silencieux, le cormier pour les sillets, dur, et
lisse, le cèdre, léger, élastique pour les manches à marteaux, l'ébène pour le
touches noire, et toutes les cellules des plantes et de laines d'animaux tissées sous forme de drap, de feutre, de molleton, de casimir, de taffetas en petites mouches sous
les touches, en couverture sur les marteaux, pour adoucir, surélever, amortir
le son; les peaux de buffle, de mouton, de daim. L'ivoire vert de Guinée,
blanc du Sénégal, les 7000 éléphants
aux défenses arrachées pour les touches blanches, les métaux venu du fond de la
terre, du coeur de la matière: fer, acier, cuivre, laiton, argent, plomb.
La
vie infusait en elle par les milliers d'hectare de forêts en sursis, les troupeaux de bêtes en marche vers
l'abattoir et les balles des chasseurs, les champs de fleurs coupées, elle
n'entendait plus les discours depuis déjà longtemps, et peu lui importaient
aussi les inventions étranges exhibées dans le salon de vente, pianos doubles
montés tête-bêche, pianos automatiques à cartes perforées, pianinos, piano
portables en petites caisses compactes sur lesquels on s'extasiait, tout la
laissait froide hormis l'échange de fluide entre le piano et elle, les dix kilos
de tension sur chaque corde qui pourraient faire exploser l'instrument, 500 à
3600 vibrations par seconde, le plier en deux avec une force de traction de six
chevaux.
C'est du Valentine Goby in Des corps en silence.
Si je n'avais pas été prof, j'aurais voulu être menuisier, comme mon grand-père.
RépondreSupprimerUn beau et dur métier, minutieux...
RépondreSupprimerMoi, c'aurait été charpentier, plus grossier !